Publié le 13.07.2021 | Rédigé par Cécile Caitucoli | 12 minutes de lecture
Depuis un siècle et demi, pendant les vacances scolaires, les camps d’été forgent les souvenirs des enfants. L’histoire des colonies de vacances est née de la volonté d’offrir une meilleure santé aux plus jeunes. Le développement des droits de l’enfant et les bouleversements sociaux ont progressivement transformé les séjours de vacances. Racontons leur histoire, empreinte de joyeuses constructions individuelles et collectives.
Les premiers séjours scolaires archivés étaient des « caravanes » offrant aux enfants des vacances à la montagne.
Dans les années 1830, Rodolphe Töpffer organise des excursions pédestres de plusieurs jours avec les pensionnaires de son institution privée d’éducation à Genève. Töpffer raconte ces sorties extrascolaires dans des livres dont Premiers voyages en zigzag, ou, Excursions d'un pensionnat en vacances dans les cantons suisses et sur le revers italien des Alpes (1844).
L’ouvrage connaît un vif succès à travers l’Europe. Ernest Cézanne, président du Club Alpin Français (CAF), juge alors qu’il est urgent :
« D’arracher les jeunes gens à l’énervante oisiveté des villes et d’organiser, pendant les vacances, les caravanes scolaires depuis longtemps pratiquées en Suisse et en Allemagne, dont Töpffer a si spirituellement illustré les joyeuses péripéties et qui laissent dans la mémoire de ceux qui y ont pris part un souvenir ineffaçable. » (Annuaire de CAF, 1874, 31).
Dans l’introduction de La première caravane d’Arcueil, Récit du voyage de la Caravane Scolaire de l’Ecole Albert-le-Grand pendant les vacances de l’année 1878 (Paris et Lyon, librairie Victor Lecoffre, 1879), MM. Eug. Ebel et G. Muleur écrivent :
« Il y a longtemps qu’en Angleterre, en Allemagne et en Suisse, on considère les voyages comme le complément nécessaire de toute éducation sérieuse. (…) Rien n’est meilleur pour le jeune homme que de voyager ainsi ; il fuit les amusements frivoles et énervants des grandes villes ; il fortifie son corps, enrichit son intelligence, élève son âme au milieu des émotions fortes et salutaires que fait naître la vue des montagnes. »
Ces voyages scolaires sont organisés pour dispenser une formation globale – physique, intellectuelle et morale – au contact de la nature.
Image conservée aux Archives Départementale d’Indre-et-Loire
L’enseignement et les sports de plein air pour les enfants et adolescents prennent de l’ampleur entre 1876 et 1900. Les éléments déclencheurs identifiés sont :
En Suisse, le principe de l’instruction obligatoire et gratuite figure dans la Constitution fédérale de 1874. En France, la loi de 1882, rend l’école gratuite, laïque et obligatoire. Les enjeux sont multiples pour la société, entre autres :
En Suisse, la loi fédérale sur les fabriques de 1877 interdit le travail des enfants. Les écoliers sont plus nombreux et des « maladies scolaires » sont découvertes : scoliose, myopie…
En France, l’Académie de médecine alerte sur les conséquences « du surmenage intellectuel et de la sédentarité dans les écoles » dans son Bulletin du 17 mai 1887. L’institution prescrit des mesures :
« Le travail intellectuel doit être interrompu par des récréations, des jeux, des chants et des exercices physiques (…) Pour les jeux, les courses, les promenades, la gymnastique, il faut que les élèves y prennent plaisir, il faut qu’ils aient de l’espace, de la liberté, il faut que les maîtres et maîtresses y prennent part, les dirigent. »
L’épidémie de tuberculose renforce cette forme d’hygiénisme.
La date d’apparition précise de la tuberculose est inconnue mais c’est au 19e siècle qu’elle tue le plus. En 1869, la transmission de la tuberculose par voie aérienne est démontrée.
D’une part, les salles d’école sont insalubres. L’ouvrage L’hygiène scolaire (1864), du médecin neuchâtelois Louis Guillaume, en atteste. Les élèves sont dans des pièces humides, exigües, mal éclairées et difficiles à aérer.
D’autre part, la tuberculose est considérée comme une maladie sociale, liée à l’enfermement, à la pauvreté et à la saleté. Le vaccin contre la tuberculose, B.C.G, ne sera découvert qu’en 1921. La « peste blanche » fera encore énormément de victimes jusqu’au milieu du 20e siècle.
La vie au grand air, premier moyen de défense contre la tuberculose
Cette affiche date probablement de 1920, mais dès la fin du 19e, l’éducation à l’hygiène se heurte à de nombreux préjugés. On s’imagine alors, par exemple, qu’un logement aux fenêtres bien fermées protège des maladies pulmonaires.
Vis-à-vis de la tuberculose, les colonies de vacances répondent à deux objectifs :
En 1876, 68 écoliers « pauvres et nécessiteux » de Zurich partent en Appenzell. La Ferien-Kolonie du pasteur Hermann Walter Bion vient d’être créée. L’initiative influence le pasteur français Théophile Lorriaux qui organise, en 1881, un séjour de vacances intitulé l’Œuvre des Trois Semaines.
En 1883, Edmond Cottinet, responsable de la caisse des écoles du 9e arrondissement de Paris, choisit d’envoyer les enfants les plus pauvres en pleine nature. Pour justifier sa démarche, Cottinet, considéré comme le fondateur des colonies de vacances en France, écrit :
« Donnez-nous de quoi faire moins de jaloux, plus d’heureux, de quoi préparer à ma patrie le plus grand nombre possible de citoyens sains, de soldats valides, de mères fécondes. » (Colonies scolaires de vacances du IXe arrondissement de Paris. Rapport présenté aux souscripteurs, 1884).
Ils étaient 18, ils seront 100 en 1886. Entre 1878 et 1900, les colonies de vacances se multiplient en Italie, Norvège, Russie, Suède, Hollande, Belgique, Espagne… Le Premier Congrès international des Colonies de Vacances est d’ailleurs organisé à Zurich les 13 et 14 août 1888.
À quelques exceptions près, les enfants et adolescents des caravanes scolaires sont issus d’une classe aisée. Parfois, il s’agit des jeunes gens les plus méritants, l’excursion scolaire s’apparentant alors à une récompense. Ce n’était pas la norme de pratiquer un examen de santé avant le voyage, ni au retour.
Au contraire, les enfants sélectionnés pour partir en colonie sont toujours des citadins :
Tous les colons sont soumis à un examen médical avant le départ. Le poids, la taille et la cage thoracique sont notés avant et après les vacances. S’ils reviennent avec des joues roses et rebondies, le séjour des enfants a été un succès.
En outre, les caravanes proposaient des activités de montagne axées sur la randonnée et l’alpinisme. Les colonies transportent aussi la jeunesse à la campagne et au bord de mer.
Les promoteurs des camps sont des associations catholiques, protestantes, israélites, laïques, militantes... L’organisation est soutenue, bénévolement, par des médecins et des instituteurs. Les organisateurs ont donc des objectifs plus ou moins éducatifs, sociaux, moraux et sanitaires.
Les activités proposées et l’encadrement restent pourtant assez similaires d’un camp à l’autre. L’hébergement revêt deux formes :
La Première Guerre mondiale contribue à mettre fin au cantonnement chez l’habitant. La construction neuve ou la transformation d’établissements existants devient la norme.
Que l’organisateur soit un pasteur ou un instituteur, la qualité des séjours repose sur :
Le début du 20e siècle constitue le terrain d’expérimentation des pédagogies dites alternatives. Le courant pédagogique de l’éducation nouvelle prône l’importance égale des apprentissages intellectuels, artistiques, physiques, manuels et sociaux.
Dès écoles nouvelles sont fondées dès le début du 20e siècle et seront la référence des futures « méthodes actives ». L’enseignement est fondé sur plusieurs principes dont :
Édouard Claparède, Maria Montessori, Rudolf Steiner, Ovide Decroly, Célestin Freinet, entre autres, appartiennent à ce mouvement. D’ailleurs, le psychologue et pédagogue Pierre Bovet, engagé dans l’éducation nouvelle, est aussi l’homme qui a traduit en français Scouting for boys (Éclaireurs). Ce livre a été écrit par l’inventeur du scoutisme, Robert Baden-Powell. Toutes ces théories, malgré leur diversité, vont inspirer les futurs mouvements de jeunesse.
En 1924 la société des Nations adopte la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant. Les nations ont notamment un devoir de protection et d’éducation de la jeunesse.
Fin août 1931, Genève accueille la Conférence internationale des colonies de vacances et œuvres de grand air. À Genève toujours, citons le premier article du Conseil municipal du 29 décembre 1931 :
« Le Conseil administratif est invité à faciliter le développement des œuvres en faveur de l’enfance, spécialement les colonies de vacances et l’aide aux familles nombreuses. »
En France, le ministère de la Santé, créé en 1930, s’engage aussi dans le développement et la reconnaissance des camps de vacances. Néanmoins, c’est avec l’arrêté interministériel du 27 mai 1949 que l’encadrement devient réellement contraignant.
De manière générale, on assiste partout à un renforcement :
En France, le Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation actives (CEMEA) est fondé en 1938. Dès 1939, le CEMEA forme les directeurs et le personnel des colonies de vacances. Les CEMEA s’implantent en Suisse au début des années 1950.
Dans l’Éducateur et Bulletin Corporatif : organe hebdomadaire de la société pédagogique suisse romande du 8 mai 1954, on peut lire :
« Les Centres d’entraînement aux méthodes d'éducation active accomplissent en France une œuvre sociale remarquable dont bénéficient surtout les enfants séparés de leur famille pour le temps des vacances (…). Chez nous, les enfants pâtissent heureusement moins de la concentration industrielle. Cependant, il existe de nombreuses œuvres en faveur de l'enfance (maisons permanentes ou colonies) qui verront leur activité augmenter encore à l'avenir et dont le personnel a grand besoin d'être préparé à sa tâche. »
La pédagogie active est une manière d’appliquer l’éducation nouvelle. L’enfant doit être maître de son apprentissage, lequel dépend de ses besoins selon son âge. L’adulte guide l’enfant en lui donnant l’envie d’acquérir des connaissances. Cette forme de pédagogie se caractérise par l’importance donnée au « projet ».
Les jeunes sont confrontés à des situations et des activités qui leur permettent de trouver des solutions par eux-mêmes pour progresser. Ce principe devient l’un des fondements des camps et colonies. Le projet pédagogique s’appuie sur les possibilités offertes par le cadre naturel et l’apprentissage de la vie en communauté. Ainsi, progressivement, une approche axée sur la pédagogie et la socialisation remplace la démarche hygiéniste initiale.
À compter des années 1960, un modèle pédagogique s’instaure :
En parallèle, les mouvements d’éducation populaire se développent et prônent le brassage social. Désormais, tous les jeunes peuvent passer les grandes vacances dans les camps, quel que soit leur milieu social. Les possibilités d’hébergement augmentent : auberges de jeunesse, campings, chalets…
Une colonie de vacances en Suisse romande en 1961
À compter des années 1975-1980, les camps sont fragilisés pour diverses raisons :
Beaucoup d’anciennes colonies de vacances « généralistes » sont contraintes de fermer. En effet, on assiste à une montée en gamme des prestations, donc des frais et des coûts. Les séjours à thème remplacent les « jolies colonies de vacances » chantées par Pierre Perret :
Pour que tous les enfants puissent partir en vacances quel que soit le prix du séjour, les cantons proposent des aides aux familles. En France, le ministère de la Jeunesse et des Sports lance :
Les structures d’accueil collectif des enfants ont évolué avec les mœurs, les théories éducatives et les pratiques sociales. Actuellement, partir en colo signifie avoir accès à des formules multi-activités sécurisées, sous la responsabilité d’accompagnateurs formés.
L’évolution des centres de vacances s’explique donc en partie par les progrès économiques et sociaux accomplis depuis leur création. Cela dit, autrefois comme maintenant, les enfants et ados en conservent de beaux et inoubliables souvenirs de vacances. Pour eux, c’est toujours une première expérience de vie collective, palpitante et dépaysante, hors du cadre familial.
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